Le taux de retour énergétique est le ratio entre l’énergie délivrée par un système énergétique et l’énergie investie dans ce système. J’essaye de comprendre quelles sont les implications de ce concept pour la transition énergétique et j’analyse certains discours qui s’en servent. [Lire plus…]
Ndlr : Franchement, Rodolphe, merci. Depuis le temps qu’on répète inlassablement tout ça, de le voir traité de manière scientifique est tout simplement jouissif.
Cela dit, je tiens à intervenir sur quelques points parce qu’en réalité les données de base officielles sont erronées, reposant soit sur des chiffres anciens (typiquement 2017, c’est Mathusalem) soit sur des paramètres incomplets. Ca fait que le TRE de l’éolien et du photovoltaïque sont beaucoup plus hauts que les chiffres officiels. Tout simplement parce que non seulement on ne tient pas compte de la différence structurelle de fonctionnement des ENR qui repose sur un foisonnement, mais aussi parce qu’on considère l’espérance de vie d’une éolienne à 20 ans et les panneaux solaires à 25 ans au lieu d’avoir une vision globale. Le TRE du nucléaire n’est pas basé sur la durée de vie et la production d’une centrale, mais sur le nucléaire dans son ensemble. Et ce sont des éléments récurrents dans la propagande du nucléaire, qui lui vivrait 60 ans, alors que les ENR ne dureraient que 20 ans. Ce qui est tout simplement faux. Les ENR sont remplacées tous les 20 à 25 ans pour des raisons comptables, mais non seulement ça n’implique pas leur fin de vie, mais de surcroît ça ne signifie pas que l’implantation est perdue. Alors que le nucléaire ne fonctionne de même pas 60 ans. Il nécessite une maintenance très conséquente tout au long de son existence, tout les 10 ans il a besoin d’un carénage, tous les 20 ans d’un grand carénage et après 40 ans, une révision et mise à jour à tous niveaux. Comme les ENR quoi.
De fait, on est déjà sur plutôt 23 ans en moyenne et après ce n’est pas que l’éolienne est foutue. Soit elle est démantelée parce que une nouvelle plus puissante en remplace 4 ou 5 anciennes. On démonte donc les éoliennes uniquement pour des raisons comptables pour les réinstaller ou on les démantèle en produisant la même chose avec moins d’infrastructures. Elles sont amorties et on réinvestit de manière à bénéficier des dernières technologies, ce qui n’est pas anodin puisque la production annuelle des éoliennes a été multipliée quasiment par 4 depuis 25 ans (plus de sensibilité au vent, donc démarrage à plus basse vitesse et moins d’énergie pour maintenir la rotation, meilleure résistance aux vents forts, efficacité par rapport à la limite de Betz plus élevée, etc.. ). Ensuite, une grosse part des éoliennes démontées est revendue d’occasion, ce qui fait que leur durée de vie est prolongée. Et donc, il ne faut pas prendre en considération le délai entre l’implantation d’une éolienne et son démantèlement ou remplacement, mais sur la production d’énergie totale du parc sur toute la durée de son existence. Et ça change la donne, parce qu’alors l’espérance de vie des éoliennes passe à virtuellement illimité.
Et pour les panneaux solaires, on considère 25 ans, mais en réalité là aussi le marché de l’occasion est en pleine effervescence et les meilleurs panneaux sont garantis d’usine 40 ans. Et, techniquement, rien ne dit qu’un panneau solaire n’aurait pas encore un rendement de 60 % à 150 ans. Là nous n’en sommes qu’aux balbutiements de la technologie, mais l’AIE a déjà qualifié le photovoltaïque d’énergie la moins chère de l’Histoire, c’est pas rien. Et s’il ne faut évidemment pas confondre le coût et le TRE, il y a quand même une boucle de rétroaction, https://lmc.today/le-solaire-est-desormais-lenergie-la-moins-chere-de-lhistoire/
D’après le Fraunhofer Institute, qui n’est quand même pas rien, le TRE du photovoltaïque atteindrait… 45 ! https://lmc.today/le-taux-de-retour-energetique-du-solaire-atteindrait-jusqua-45-pour-1/ Là encore en prenant en considération non pas la durée de vie d’un panneau posé, mais l’ensemble du dispositif de production photovoltaïque installé, ce qui inclut des remplacements, de l’entretien, un investissement de base.
Ensuite, un point crucial qui manque, c’est que le pétrole et le charbon sont des énergies sales. C’est-à-dire qu’elles émettent des émanations corrosives, grasses, dans laquelle la poussière se colle ce qui génère du cambouis abrasif et toxique. Il faut changer souvent l’huile, le liquide de refroidissement, des filtres à huile, à air. Les véhicules et infrastructures consommant ces énergies sont extrêmement salissantes ce qui nécessite une maintenance extrêmement lourde très gourmande en pièces et fluides.
Je n’ai jamais trouvé de chiffres précis sur le sujet, mais on peut considérer que l’immense majorité de l’énergie consommée sur Terre ne l’est que pour consommer des fossiles. On consommes des fossiles, ce qui nécessite de l’énergie, qui est salissante ce qui nécessite de l’entretien, qui nécessite de l’énergie. Consommer du charbon nécessite énormément de pétrole. Mettre du carburant à base de pétrole dans les véhicules nécessite des quantités de pétrole. C’est déjà bien moins le cas pour le gaz, qui brûle en produisant moins de fumées et même sur les véhicules on peut espacer les vidanges. De même pour le filtre à air des véhicules, par exemple, parce que les retours de flamme ne contenant pas de suies, ils n’encrassent pas le filtre qui ne noircit pas, comme sur un diesel.
Par ailleurs, le pétrole et le nucléaire nécessite des manigances diplomatiques et militaires extrêmement onéreuses qui ne sont jamais prises en considération, pour assurer l’approvsionnement. Pour le pétrole, on construit des bases militaires à l’étranger, on a des contrats de protectorat (comme la France l’avait pour le Mali, pour la République Centrafricaine, le Niger, etc… et les USA en ont avec le Koweit). Ce sont des coûts colossaux qui sont mis au compte de la géopolitique mais qui en réalité reposent bel et bien sur la nécessité d’assurer l’approvisionnement énergétique, raison pour laquelle on ne fait aucune manigance diplomatique ou militaire dans les pays qui ne sont pas nos fournisseurs majeurs de quelque chose.
Il faudrait enquêter en considérant ces paramètres, mais je ne serais pas surpris que le TRE du pétrole et du charbon soit en réalité tout bonnement nul, sinon négatif, aggravant le déficit budgétaire. D’autant qu’il faut rappeler que les énergies fossiles sont très massivement subventionnées. Mais c’est considéré comme un investissement indispensable au fonctionnement de la société. Il suffit de voir les constructeurs automobiles qui paniquent à l’idée que la voiture électrique fasse passer à la trappe 10 millions d’emplois, non seulement dans la construction automobile, mais également dans son entretien, dans les garages et les usines de pièces et fluides, la livraison des carburants, la maintenance des stations-service, etc… Et donc la société considère cette perte comme un investissement, sachant qu’au bas mot le quart de la population travaille directement ou indirectement dans la consommation d’énergie fossile.
A noter que dire que « pour maintenir le niveau de vie d’un français il y a plusieurs kilos de ressource fossile » me fait tiquer, sans être faux mathématiquement, philosophiquement c’est plus hasardeux. Puisque, par définition, les énergies fossiles sont très grandement inefficaces, en réalité le français ne consomme qu’une infime fraction de ces fossiles. Ca implique que le pétrole ne représente pas 35 % de l’énergie consommée par l’humanité, puisqu’en réalité l’essentiel de cette part de l’énergie est consommée par lui-même. L’énergie utile du pétrole représente au plus 7 % de l’énergie consommée par la population et c’est seulement cette part qui doit être remplacée pour s’en passer et c’est pareil pour le charbon. L’avantage d’un TRE très faible est qu’il implique que chaque petit pas réalisé vers la baisse de la consommation d’énergie fossile induit un effet de levier exponentiel sur le volume de l’énergie primaire. On peut considérer que 1 watt d’énergie fossile consommé en moins c’est 10 Watts en moins à l’extraction.
Enfin, à propos du stockage et de l’intermittence, les deux termes sont là encore erronés. Le photovoltaïque et l’éolien ne sont pas intermittents, c’est même leur principale force, surtout par rapport au nucléaire, qui ne produit que quand il fonctionne (LOL) mais localement (et temporellement pour le photovoltaïque) variables. Par ailleurs il y a bien d’autres ENR qui elles sont bien moins variables, comme l’osmotique, l’hydrolien ou le houlomoteur, qui arrivent et, bien sûr, le géothermique. L’hydrothermique étant réservé plus à des régions tropicales. Elles sont donc factuellement beaucoup plus fiables, avec une prédictibilité très grande, même si leur utilisation implique une variation dans la production. Ce qui fait qu’en réalité elles n’ont pas particulièrement besoin de stockage, mais de réserve de potentiel. Et c’est très différent, d’avoir un peu de packs de batteries c’est très bien, ça permet non seulement de servir de débouchés lors d’éventuels excédents, mais également de pouvoir réagir très vite pour stabiliser le réseau et compenser un léger manque de manière à réguler le marché. Mais l’essentiel des débouchés pour les excédents sont bien sûr la recharge des véhicules, qui pourront également rendre une part de leur énergie lors des pics et donc servir de stockage, la production d’hydrogène et la méthanation, la synthèse de gaz qui vient remplacer le gaz naturel.
Cette nuance est très importante, parce que si de construire un pack de batteries (et les recycler) est énergivore, d’exploiter une production industrielle comme réserve de potentiel en revanche est PRODUCTIF. Les batteries grèvent le TRE de la production d’énergie, la production d’hydrogène ou de gaz par méthanation ou la recharge des véhicules l’améliore.
Un rapport de l’AIE qui traite du stockage par rapport à la production PV https://lmc.today/aie-pvps-firm-power-generation-2023/
PS : le reste de la BD de Janco aussi est indéfendable, il dit tout bonnement n’importe quoi à chaque page. Sur l’efficacité des éoliennes, sur les matériaux nécessaires, sur la fiabilité des ENR, sur leur efficacité, TOUT est faux et largement débunké à tours de bras, au point qu’il y a eu débunkage même à Polytechnique, ce qui est excessivement rare.
Il faut rendre à César ce qui est à César. Quand j’ai découvert Jancovici, en 2004, sur son site Manicore, il était le seul à parler vraiment du réchauffement climatique. Ca faisait au moins 20 ans que j’attendais ça. Et il en parlait bien, il était le meilleur. Et il l’est toujours, il est celui qui a la conscience la plus fine à mon sens des conséquences du réchauffement. En revanche il disait déjà n’importe quoi aussi bien sur les énergies renouvelables que sur le nucléaire et sur l’économie. Mais il avait le mérite de faire bouger les choses et à l’époque il se débattait pour imposer son invention, absolument géniale, de mesure des émissions de carbone, qui fait référence aujourd’hui. Résultat : il a eu un boulevard devant lui pour imposer ses âneries durant 15 ans. Il est à l’origine de la pensée collapso et de l’idée décroissante, ce qui est pour le moins symptomatique de la gravité des dégâts que son propos cause sur les esprits. Ca fait plus de dix ans maintenant que je le combats et qu’on me le sert quasi quotidiennement en argument pour me contrer. Heureusement qu’il n’y a que ses adeptes qui l’écoutent et que les décideurs n’en tiennent pas compte. Il n’en reste pas moins que ça fait que des tas de gens combattent la transition énergétique et soutiennent l’idée de décroissance à cause de lui, ce qui freine gravement la transition écologique.